La transition écologique

ISSU DU MAG DE NOVEMBRE 2020 _ Auteur Fred PORCEL

IL Y A PEU DE DOMAINES OÙ HOMO CONSO N’A PAS RÉUSSI À SCIER LA BRANCHE OÙ IL SE SUSPENDAIT
IL N’Y A PAS SI LONGTEMPS.

DU MIEL ? NON, DU SUCRE.
Prenez le miel. Quoi de plus simple ? Des abeilles récoltent du nectar (le pollen sert surtout à nourrir les jeunes) qu’elles transforment en miel, l’apiculteur le met en pots et le vend : la belle histoire de Maya l’abeille.

C’était sans compter sur le sens des affaires d’Homo Conso. Celui-là s’appelle Charles Dadant, qui invente au
début du 20e siècle une ruche préfabriquée révolutionnaire qui porte son nom. Toujours massivement utilisée aujourd’hui, elle a transformé l’apiculture en industrie. Finis le cycle naturel et la tranquillité d’une ruche maintenue à 35°, condition indispensable à la survie des jeunes. La Dadant est une boîte carrée disposant de rayonnages amovibles et d’un toit facile à ouvrir.

Avec elle, la main invisible du marché va imposer sa loi : sélection des abeilles les plus productives, appauvrissant la diversité génétique (surexploitées, les reines sont rapidement épuisées puis éliminées, remplacées par des plus jeunes issues de quelques souches seulement, élevées à la chaîne dans des pays spécialisés et envoyées par la poste), transhumance forcée plusieurs fois par an – ces ruches carrées sont empilées par centaines dans des camions – le plus souvent dans des zones de monoculture chimique, ouverture et enfumage fréquents pour surveiller la ruche, épuisant les abeilles obligées de la remettre en température en permanence, suppression de l’essaimage en divisant les colonies, clippage de la reine (ablation d’une partie de ses ailes pour éviter qu’elle ne s’enfuie, entraînant la colonie avec elle), la liste est longue.

Cerise sur ce pancake productiviste : l’homme découvrit qu’en les gavant de sucre, la production de miel allait plus vite. Ainsi, aujourd’hui, de très nombreux apiculteurs nourrissent leurs abeilles avec du sucre. Sirop, poudre, candi, son usage est deux fois plus important que la quantité de miel produite. Autrement dit (et l’on ne parle pas ici du faux miel importé) beaucoup de miels sont en réalité du sucre bas de gamme (betterave, céréales ou maïs) transformé. Comme il est bien moins cher à produire que le prix de vente du miel, c’est le jackpot.

L’inconvénient, on le devine : Maya est devenue une vache à miel, ayant autant à voir avec l’abeille originale que notre boeuf avec l’auroch. Totalement affaiblie génétiquement, hyper fragile et dépendante de l’homme, elle meurt à la moindre contrariété : parasite (varroa), prédateur (frelon asiatique et géant bientôt), produits de l’agriculture conventionnelle chimique, changement climatique. C’est comme si on lâchait une poule de batterie dans la savane, on imagine combien de temps elle tiendrait.

BUSINESS IS BUSINESS
Seule solution à cette hécatombe, en produire en masse pour remplacer les colonies qui disparaissent à vue d’œil. Et c’est exactement ce qui se passe. Chili, Argentine, Canada, USA, Australie notamment sont des usines à reines clonées, accélérant le déclin de l’espèce. Business is business, tant que ça tient, le marché se gave comme les abeilles, il passera à autre chose quand elles auront disparu. Le problème, c’est que les variétés sauvages sont menacées aussi. Et sans insectes pollinisateurs…

Pendant ce temps, les apiculteurs pleurnichent la disparition de celle qu’ils ont contribué à rendre hyper vulnérable. En quelques années, l’argent a transformé Apis Mellifera en une machine à produire jusqu’à épuisement avant d’être remplacée par un clone, la conduisant à sa disparition afin que quelques-uns s’en mettent plein les poches. Étonnant qu’Homo Conso n’ait pas plus d’empathie envers celle qui lui ressemble tant.

Les apiculteurs respectueux des abeilles et les amateurs qui les aident à survivre sans rien leur demander existent(1). Bien sûr, ce sont d’affreux bobos conspués à juste titre par Bozo le clown des réseaux, mais leur nombre progresse régulièrement.

Comme pour tout le reste, la principale menace qui pèse sur les abeilles, c’est l’espèce humaine qui détruit tout ce qu’elle touche, y compris elle-même. Après un demi-siècle d’atermoiements et quelques années de green washing, une vraie transition vers un nouveau mode de vie semble commencer. Même la Chine annonce s’y mettre. Sera-t-elle assez rapide ?

Au mois prochain, peut-être.

1 Si les abeilles – les vraies, qui sont en Europe les abeilles noires – vous intéressent : https://www.abeillesenliberte.fr/

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