La transition écologique

ISSU DU MAG DE SEPTEMBRE 2023 _ Auteur Fred PORCEL

UNE PETITE MUSIQUE…
Après la réforme des retraites, un militant se demandait s’il ne fallait pas changer de modes d’action, les manifestations et les grèves n’ayant plus d’effet. Ses doutes montrent qu’à la crise climatique s’ajoute désormais une crise sociétale, pas moins grave. Dans les deux cas, le monde d’avant est en train de s’éteindre. C’est bien plus rapide que ce qui était prévu. Et pas vraiment ce que l’on espérait.

ON POURRAIT CROIRE QUE RIEN N’A CHANGÉ

Toujours plus d’avions, de viande, de gazole, de pubs, de vide à partager… la vie rêvée d’Homo Conso qui se demandera s’il doit faire quelque chose pour le climat quand BFM lui annoncera que l’humanité n’a plus que vingt-quatre heures à vivre.
Pourtant, depuis le Covid, une petite musique s’invite partout, même chez lui qui vit avec des lunettes Barbie et un casque sur les oreilles. Elle nous fredonne qu’un virus peut mettre l’économie mondiale à genou et tuer des millions d’humains. Que la Russie peut détruire l’Europe (voire l’humanité) et déclencher une guerre totale. Que la Chine totalitaire tisse sa toile partout, désormais suffisamment puissante pour affronter l’Occident dont elle n’a plus peur. Que l’Inde se hâte de prendre le même chemin.

Cette mélodie nous serine que l’extrême droite gagne du terrain dans les urnes et dans les têtes,  portée par la violence sociale que le néolibéralisme exacerbe pour flatter les bruns instincts d’une partie des électeurs et rejouer ad nauseam le front républicain à chaque élection. Comme sous l’Occupation(1), elle nous siffle que résister, manifester, taper sur des casseroles, c’est prendre le risque de finir en cellule, en soins intensifs ou six pieds sous terre.

Refrain qui nous chante que non, les riches ne paieront pas, malgré leurs fortunes qui croissent de façon exponentielle dans l’indifférence générale pendant que les citoyens commencent leur fin de mois le 10. Ils vivent sur une planète inaccessible où personne n’ira les déranger, protégés par les politiques et les médias qui leur appartiennent et martèlent leur message : travaillez, soyez rentables, obéissez, taisez-vous, votez pour notre poulain !

Côté environnement, cette musique nous chante que l’Arctique fond plus vite que prévu, les points de non-retour climatiques sont franchis les uns après les autres, les mégafeux et les sécheresses sont la règle. En France, la guerre de l’eau a commencé, à coups de bassines, de matraques, de grenades.

Si ça ne suffisait pas, un nouveau couplet vient s’ajouter : l’intelligence artificielle effraie ses créateurs, convaincus qu’elle sera en mesure de dominer et d’éliminer notre espèce.

Cette petite musique, Homo Conso fait semblant, mais il ne peut pas passer à côté. Par la fenêtre, dans la rue, à la télé, sur les réseaux, dans la bouche de ses voisins, il ne peut pas ne pas l’entendre.

NOUS AVONS ATTEINT UN POINT DE BASCULE CLIMATIQUE ET SOCIÉTAL
Les annonces quotidiennes d’un futur apocalyptique baignent dans un océan de béatitude consumériste tenue en joue d’une main droite de fer. La réalité, l’imaginaire, le meilleur, le pire se mélangent. Plus rien n’étonne ni n’indigne dans ce monde où réseaux et médias permettent à n’importe qui de répandre n’importe quoi. Où les pires de nos représentants parviennent au pouvoir et s’y maintiennent par la force en justifiant leurs méfaits à coup de punchlines. Où conflits d’intérêt et corruption sont un gage d’ouverture d’esprit(2), où l’on peut être complotiste, insurrectioniste, climatosceptique, raciste, misogyne, condamné pour fraude fiscale et viol et candidat à la présidence de la première puissance mondiale qui n’en finit plus d’être tentée par son côté obscur. Où violence d’État et surveillance de masse sont les seules réponses de politiques qui criminalisent ceux qui ne partagent pas leurs idées. Où la frontière entre démocratie et dictature est tellement floue qu’il a fallu inventer le mot démocrature. Où les médias sont redevenus des organes d’État. Infos, intox, fake news, complotisme, violence, haine, tout a pignon sur rue, tout a voix au chapitre. Nos valeurs, nos certitudes, ce que nous pensions être juste ou pas se décompose dans un grand maelstrom schizophrénique où, contre toute vraisemblance, il faut prétendre que tout va bien.

Le monde change plus vite que prévu. En pire. Face à des risques existentiels chaque jour plus menaçants, l’humanité aurait besoin de paix et de solidarité, tout n’est que guerre, répression, arrogance, menaces irresponsables. Demander à nos agresseurs d’être raisonnables, c’est croire au Père Noël. Ceux qui prétendent avoir les solutions sont le problème, leurs commanditaires leur interdisent d’agir, ils ne savent que s’écouter parler ou écrire des navets.

Bruits de bottes et culte de la personnalité sont redevenus tendance. Non content de laisser aux suivants une planète carbonisée, docile comme jamais, Homo Conso leur lègue des démocraties en lambeaux.

IL FAUT Y CROIRE, NOUS N’AVONS PAS LE CHOIX
Après tout, même si chaque jour qui passe indique le contraire(3), peut-être nous en sortirons-nous. Peut-être que l’IA sera mise à profit pour combattre le réchauffement, sauver la nature, renforcer les démocraties, favoriser la paix, protéger les citoyens, débusquer les imposteurs. Peut-être qu’une nouvelle classe politique choisira de défendre l’intérêt commun plutôt que le sien et celui de ses donneurs d’ordres. Nous avons le choix : résister à la tentation de l’abîme où nous poussent les dirigeants en place et accepter, exiger d’évoluer comme Homo (Sapiens cette fois) l’a toujours fait. Ou bien continuer à regarder en silence disparaître la nature, nos libertés et ce qu’il nous reste d’humanité. Dans ce cas, cette petite musique risque fort d’être un générique de fin.

 

Vos questions ou réactions à : lemag@unsa-ferroviaire.org


1 En 39-45, l’adversaire principal de la résistance fut la police du gouvernement de Vichy qui a traqué, infiltré et livré à l’occupant des milliers de résistants.

2 L’agrément de l’association Anticor (pour agir en justice contre des faits de corruption) a été annulé le 23 juin 2023. Plusieurs de ses plaintes en cours d’instruction concernaient des membres de la classe politique en place.

3 « La réponse collective du monde face au réchauffement climatique est pitoyable », secrétaire général des Nations unies, juin 2023 – « L’homme prend des risques colossaux pour l’avenir de la civilisation et de tout ce qui vit sur Terre. » Nature mai 2023 https://bit.ly/3CJr6o3 (en anglais)