La transition écologique

ISSU DU MAG DE OCTOBRE 2020 _ Auteur Fred PORCEL

AVEC LE CORONAVIRUS, QUELQUES EXPRESSIONS ONT EU LEUR QUART D’HEURE DE GLOIRE, COMME « TOUS RESPONSABLES » ET « INTELLIGENCE COLLECTIVE »

Pardon mais pour la première, je ne me sens pas vraiment responsable de la déforestation qui met en contact les humains avec des animaux sauvages porteurs de virus, dont l’habitat est détruit pour produire des steaks hachés. Pas plus que du délitement de notre système de santé publique organisé depuis 30 ans par nos gouvernements libéraux successifs. Ni du manque tout aussi organisé de moyens de protection au début de l’épidémie. « Les masques ne servent à rien » nous disait-on. Ça tombe bien, il n’y en avait pas.

Imaginez le commandant du Titanic sortant sur le pont après le choc et criant aux passagers : « Les chaloupes ne servent à rien, on est tous responsables ! ». Un peu de sérieux, les mots sont importants. Comme tous (ou presque), je respecte les gestes barrières, pour moi et pour les autres. Concerné, solidaire, vigilant… évidemment. Responsable, non.

L’intelligence collective me pose un autre problème : je ne l’ai jamais rencontrée. Peut- être ne suis-je pas assez attentif, ou s’agit-il d’une version Covid du bon sens populaire. Si c’est le cas, pardon là encore mais celui-ci nous fournit surtout des leaders de premier plan dont l’agent orange est le modèle, ainsi que des pensées de fond comme « Il faut vivre ses rêves, Carpe Diem, profitons de chaque instant » ou plus récemment « L’écologie, un truc de bobos ».

AH… LES BOBOS !

Pendant que Smith (le commandant du Titanic) braille ses « Tous responsables ! », quelques passagers cherchent à colmater la brèche, d’autres aident à mettre les chaloupes à la mer ou essaient de contacter d’autres navires. Des affreux bobos ! Intégristes du sauvetage ! Ayatollahs de la survie !

Pendant qu’il se moque, Homo Conso reste dans le déni, préférant profiter de chaque instant et vivre ses rêves d’objets à acheter. Il a choisi de rester sur le navire. Bon, de toute façon, il n’y a pas assez de chaloupes. Mais comment être sûr qu’il n’entraînera pas avec lui ceux qui veulent monter dedans ? Comme je fais partie de ceux-là, je ne fais pas le pari de croire que tout va finalement bien se passer. Ou que son intelligence collective nous sortira de là, vu ses résultats jusqu’à présent. Sur notre navire commun, nous sommes tous responsables de faire ou de ne rien faire : États, villes, entreprises, individus.

Pendant que le nôtre, d’État, minaude pour soutenir le ferroviaire, il (enfin, nous) finance les énergies fossiles, réduit encore les impôts des sociétés même les plus polluantes au motif jamais démontré que cela crée de l’emploi, amputant une nouvelle fois le financement des services publics, réautorise les néonicotinoïdes, encourage la chasse d’espèces en déclin, surveille les militants écologistes. Incapable de répondre à l’ampleur du défi, il ne sait que survendre sa collection de pansements verts agréés MEDEF.

Côté collectivités, les élections municipales ont fait naître un espoir, il était temps.

Dans les entreprises, pendant que les salariés font tourner les machines, mais servent encore et toujours de variable d’ajustement, les petits chefs glapissent dans l’ombre des grands, lesquels pensent d’abord à leurs objectifs. Ils font semblant de s’intéresser à l’écologie pour qu’on les laisse tranquilles et accessoirement profiter du buzz.

Dans la Cité enfin, Homo Conso affûte son bon sens : « 2 degrés de plus, je vois pas le problème. Il faut que tout le monde s’y mette, sinon ça sert à rien. La science trouvera une solution. Ça m’intéresse, mais là j’ai pas le temps. »

LES ÉCOLOS ONT BON DOS

Comme d’autres écologistes, je roule en voiture électrique parce que, si le réchauffement n’est pas le seul problème de notre civilisation, il est de loin le plus grave et nombre d’études montrent qu’au global, cela produit moins de CO2 qu’un véhicule thermique. Même si elle n’est ni propre, ni parfaite, ses défauts de jeunesse doivent être et seront corrigés, quand les carburants fossiles font partie d’un modèle antédiluvien qui nous a conduit dans le mur. Je suis végétarien parce que l’élevage est une calamité. J’achète moins et autant que possible en deuxième main parce que la surconsommation est néfaste quelle que soit la façon dont on l’aborde. Je ne prends plus l’avion car, avec le tourisme de masse, il pollue beaucoup et je peux m’en passer. Tant mieux pour le renouveau des trains de nuit.

Suis-je un extrémiste vert parce que, préoccupé par l’état de la planète, je réfléchis à l’impact de tout ce que je fais ? Pour être franc, je veux surtout sauver ma peau et celle des êtres qui comptent pour moi. Mon bilan carbone est de 1061 kg/an, il continue de baisser quand la moyenne française est à 2600 kg/an.

Alors, les écolos sont-ils seulement des bobos qui peuvent se le permettre ? D’accord, une voiture électrique, c’est cher. Encore qu’à comparer en coût total, on peut en parler. Mais arrêter la viande, le plastique, l’avion, le shopping inutile, l’habitat surdimensionné, c’est efficace et économique. Et puis franchement, au point où nous en sommes, qui ça intéresse ? Ne vaudrait-il pas mieux monter à bord et se mettre enfin à ramer ?

Au mois prochain, peut-être.

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