La transition écologique

EXTRAIT DU MAG DE JUILLET – AOUT 2022Auteur Fred PORCEL

En cette période post électorale, les promesses ont une nouvelle fois eu leur heure de gloire.
Pour l’environnement, c’est toute l’année et ça fait 30 ans que ça dure…

Sur le climat, les citoyens n’ont que du vent à se mettre sous la dent. Depuis les années 80 et toutes obédiences libérales confondues, les leaders du monde occidental – principal responsable du dérèglement climatique, l’Asie est d’abord son usine à dumping social délocalisée – brassent de l’air. Limiter la hausse des températures à 1,5 degré, zéro émission nette en 2050, bla bla bla… Ça ne leur coûte rien et c’est exactement ce qu’Homo Conso veut entendre : « On verra plus tard ». Un peu comme ignorer les six mois de  préparation nécessaires à un marathon quand on n’a jamais fait de sport, mais se dire qu’on s’y mettra à fond la veille au soir.

L’HOMME COMMET LE PIRE AVEC UNE CERTAINE CONSTANCE
Les années passent. Non seulement rien ne s’améliore mais, semblant posséder leur propre constante de Hubble, les indicateurs Climat et Environnement se dégradent à une vitesse qui s’accélère. L’objectif de limiter à 1,5 degré la hausse des températures est déjà quasiment effacé. Si l’on imagine l’avenir de l’humanité en regardant son passé, la probabilité la plus élevée est qu’elle fasse exactement le pire de ce qui lui sera proposé.

À quoi bon promettre du Net zéro 2050 ou une fable du même acabit que nous n’avons, en continuant ainsi, aucune chance d’atteindre ? Rater l’un après l’autre tous les objectifs successifs en se disant qu’on fera mieux avec le suivant, pour faire comme la grenouille qui finit doucement par être ébouillantée ? Le Covid à peine oublié, l’aviation civile repart comme en 2014, les paquebots géants refont le plein d’aventuriers en bermuda, l’extraction de combustibles fossiles se chiffre en milliers de milliards de tonnes, l’agriculture intensive augmente encore les intrants et accapare l’eau des nappes phréatiques dans des mégabassines avec l’appui du ministère de l’agrochimie.

L’Homme consomme plus que ce que la Terre fournit et ses pollutions débordent de toutes parts, les Mozart de la finance ont-ils besoin d’un Powerpoint pour comprendre que ça doit vite s’arrêter ? Les premiers de cordée sont-ils perchés trop haut pour croire que leur fortune les mettra en apesanteur dans un monde parti en fumée ? Qui fabriquera leurs plus-values ? Qui fera tourner leur business ? Qui achètera leur camelote ? Pourquoi continuent-ils à mentir en prétendant maîtriser la situation ? Pourquoi les citoyens font-ils semblant de les croire ? Les prochaines générations ne méritent-elles pas un peu plus de sérieux et de respect ?

RIEN DE CONCRET, DU VENT ET DE L’ARGENT MAGIQUE
Tant de questions dont les tenants du vieux monde n’ont rien à faire, ne quittant pas des yeux leur unique feuille de route dite Ron/Maggy : faire durer le business as usual qui finance les rentes des 1% et les carrières de leurs porte-serviettes, augmenter les profits privés, sabrer le financement des protections sociales et des services publics, dont ils critiquent ensuite les insuffisances pour les brader au privé. Le FMI appelle ça des « réformes structurelles ». Ceux qui pensent différemment sont qualifiés de menteurs, technique bien pratique dite Vlad/Liz.

30 ans que ça dure. Plus d’argent dans les caisses de l’État, il paraît. En même temps, année après année, les meilleurs d’entre eux reçoivent des milliards d’euros en réduction de taxes sur les plus-values, crédits d’impôts société étrillés pour leur inefficacité, optimisation et opacité fiscales protégées sous verrou, transfert de technologies et d’industries stratégiques… Les petits cadeaux entretiennent l’amitié, il paraît.

En France, sur l’écologie, le gouvernement n’a strictement rien accompli alors qu’il a passé son temps à se vanter de le faire. Pas la moindre esquisse de modification de nos sociétés ou de nos modes de vie. Pas la moindre initiative pour protéger définitivement la nature, le climat, la vie. Cinq ans à la poubelle. On verra plus tard. Le seul sujet sur lequel il s’est positionné – et de quelle façon démocratique ! – c’est l’électricité, dans un pays où elle est l’une des plus décarbonées au monde. Étrange précipitation et pari de haute approximation à vie longue. Transition dans les transports ? Rien. L’industrie ? Rien. Le bâtiment ? Rien. L’agriculture ? Ah là, par contre, toujours aux petits soins pour l’intensif et la chimie, qui mènent à toute vapeur la production alimentaire mondiale dans une impasse.

Nos héritiers du déterminisme social ne savent que s’autocongratuler dans les médias de leurs sponsors, actionner la planche à billets et jurer qu’on verra plus tard. Voilà un chèque ! Et encore un. Servez-vous, c’est de l’argent magique. N’oubliez pas de donner la facture à vos enfants. Homo Conso applaudit, du moment qu’il a la télé.

L’INFORMATION EST ESSENTIELLE, ENCORE FAUT-IL LA VOULOIR
Pourtant celui-là sait. Se considère même au top de l’info, sélectionnant mine de rien les sources qui taisent ce qu’il ne veut pas entendre. Adepte du déni permanent – ce qu’il nie farouchement – il ne prend pas le temps de lire ou d’écouter les experts du sujet : un tweet, une vidéo de 30 secondes, une discussion chez Shopi, c’est suffisant.

Il sait par exemple que l’élevage est le principal responsable de la déforestation et de la destruction de la biodiversité, qu’il occupe 75 % des terres agricoles dans le monde, mais il sait aussi que manger des animaux 700 fois par an est physiologiquement indispensable : l’absence de viande à tous les repas fait tomber les cheveux les jours impairs et pousser les ongles dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. C’est prouvé. Il sait aussi que les voitures électriques polluent énormément. Alors que les thermiques et leurs carburants sont produits par magie, des terres rares(1) sont extraites à mains nues par des enfants prisonniers à vie dans des mines en Afrique pour fabriquer les sales batteries. Une fois celles-ci usées par des bobos à force de se garer sur les trottoirs devant les magasins bio, qu’en faire ?

Bien qu’elles soient identiques à des piles rechargeables qui se recyclent depuis des décennies, le lobby automo-électro-nucléaire a réussi à les rendre non recyclables. En fin de vie, elles sont envoyées en Chine pour être démantelées à mains nues par des enfants prisonniers à vie dans des usines, puis les broyats sont expédiés par porte-containers géants vers l’Afrique pour être déversés dans les mines et servir de nourriture aux enfants qui extraient les terres rares. Grâce à quoi le lobby automo-électro-nucléaire se vante d’avoir mis sur pied une économie circulaire.

Sur l’écologie, on ne la fait pas à Homo Conso. D’ailleurs, il a commandé sur Amazon une gourde et une ramette de papier recyclé, le changement climatique n’a qu’à bien se tenir ! Pour être honnête, il ne cherche pas vraiment à savoir, ne se préoccupe de rien, laisse ceux qui savent gérer à sa place. C’est plus confortable de regarder ailleurs, encore. Il veille sur ses enfants quand ça consiste à leur rappeler de se laver les mains, mais ne remettra jamais en question le moindre détail de son mode de vie qui pourtant condamne leur avenir. Quand ça arrivera, il prétendra n’avoir rien su ou rien pu faire.

IL EST TEMPS DE REGARDER LA RÉALITÉ EN FACE
Malheureusement pour nos élites, leur petite fête privée semble avoir du plomb dans l’aile. Ces chantres de la croissance infinie font face à un monde qui change vite et un nombre toujours plus grand de citoyens qui se réveillent et demandent des actes. S’ils ne reçoivent le plus souvent que mépris, mensonges et violences, le rapport de force commence à changer, dans nos sociétés qui s’installent durablement dans les crises, les pénuries et les tensions géopolitiques. L’environnement et le climat sont dans toutes les bouches, tous les secteurs, tous les pays.

Pour répondre à cette pression publique grandissante et n’écoutant que leurs cabinets de conseil, la plupart des politiques multiplient les engagements à 30 ans qu’ils ne seront pas chargés de mettre en œuvre. Make the bla-bla great again !

En même temps, quelques pays montrent qu’il est possible d’agir. Pour les transports par exemple : dans les années 80, les citoyens suisses ont imposé à leur gouvernement, contre sa volonté, le développement massif du ferroviaire, fret et voyageurs. C’est aujourd’hui un succès incontestable. L’Allemagne vient de lancer un test de quasi gratuité des transports publics à l’échelle du pays entier : bus, tram, métro et trains régionaux accessibles pour 9 euros par mois. Deux exemples de mesures d’envergure destinées à changer les habitudes, qui se multiplient sous l’impulsion de collectivités locales et de citoyens. Cette vague de fond finira par engloutir ceux qui s’accrochent au 20e siècle, déferlera-t-elle assez vite ?

En attendant, au lieu de promesses intenables, il serait plus prudent de regarder la réalité en face. Se préparer à affronter l’avenir qui a toutes les chances d’arriver quand l’indifférence et le bavardage font perdre un temps précieux. Prendre comme base, parmi les scénarios du GIEC, la plus forte hausse des températures (quatre à six degrés qui rendront la majeure partie du globe inhabitable, avec les conséquences géopolitiques qu’on peut d’autant mieux imaginer qu’elles ont commencé) et s’y préparer dès à présent, en tenant compte du délai nécessaire au remplacement des générations actuelles dont 95% d’entre elles ne bougeront pas le petit doigt. Et si par chance ces six degrés ne sont pas atteints, ce sera enfin une vraie bonne nouvelle. Espérer le meilleur, se préparer au pire. Assez de promesses.

1 Les batteries ne contiennent pas de terres rares, qui ne sont pas rares.

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