SNCF

Monsieur Jean-Pierre FARANDOU

Président Directeur Général de la SNCF

2 place aux Étoiles – CS 70001

93633 LA PLAINE SAINT-DENIS CEDEX

 

 

Paris, le 27 janvier 2023

 

Objet : Lettre ouverte pour l’ouverture d’assises du travail ferroviaire

 

Monsieur le Président,

Alors que le débat médiatique et politique sur les retraites élude la question pourtant essentielle du travail, l’UNSA-Ferroviaire vous demande d’ouvrir au sein du GPU, des assises du travail ferroviaire à l’instar de celles ouvertes par le ministre du Travail le 2 décembre dernier.

Nous pensons en effet qu’il est urgent de dresser un état sans concession du rapport au travail des cheminots d’un GPU en pleine transformation et en crise de valeurs – ces assises pourraient en être le lieu idoine.

L’ambition de ces Assises du ferroviaire serait de recueillir et analyser les attentes des salariés, anciens comme nouveaux, vis-à-vis du travail et de leur métier, en y associant toutes les parties prenantes : partenaires sociaux représentatifs, les SA et leurs filiales, des universitaires, et des personnes qualifiées.

Ainsi l’on pourrait faire émerger des propositions nouvelles pour améliorer la gestion des carrières sur les 3 collèges, mieux prendre en compte les aspirations des salariés dans leur rapport au travail et poser de nouvelles propositions d’amélioration des conditions d’exercice des métiers.

Car la question du travail devrait être justement au cœur de la réforme des retraites qui occupe le pays en ce moment.

J’ai été frappé de constater combien la géographie des manifestations du 19 janvier, au-delà des grandes métropoles, s’est calquée sur «la France du travail », celle des sous-préfectures et des villes moyennes industrielles.

Ce qui nous a particulièrement interpellés ce jeudi 19 janvier, ce fût de constater aussi ce conflit de lecture de la société par nos élites et nos dirigeants.

Le « travailler plus longtemps », versus, le sens de la « valeur travail ».

Dans la rue jeudi dernier, il y avait tellement de témoignages de gens qui doutent !

Avec un désir d’organiser sa vie active autrement, un sentiment de faire un travail pénible, mais qui n’entre pas dans les critères de la pénibilité du législateur.

 Ce sont des signaux qui nous ont particulièrement interpellés à l’UNSA-Ferroviaire et qui nous questionnent dans notre rapport à l’efficacité du dialogue social, sur l'accompagnement des carrières qui seront de plus en plus longues, à la pénibilité qui évoluera de manière exponentielle passé un certain âge et, par conséquent, sur l’urgence à trouver de nouvelles formes de compensation.

Nous faisons le constat, côté ferroviaire, que les métiers, le travail des cheminots d’hier et d’aujourd’hui est un point aveugle de toutes nos négociations internes depuis la disparition des CPC et autre feu observatoire des métiers (1996) devenu institut des métiers (2002).

Ne parlons pas des CSE qui sont devenus à la SNCF des énormes chambres d’enregistrements où les présidents se comportent comme des notaires et où toute forme de contradiction métier est renvoyée au management local. Seul compte dans les CSE le E. Le S a pratiquement disparu.

Malheureusement, les “commissions métiers” créées en 2020 à la suite de la Réforme ferroviaire de 2018 sont des coquilles vides. Des placebos créés bien opportunément pour rassurer les OSR, et repeindre ainsi le dialogue social d’une jolie couleur, mais dont les séances ne laissent pourtant aucune place à la réflexion, aux débats, à des arbitrages ou des modifications substantielles sur l’évolution des métiers et du travail à la SNCF.

(La revendication du collectif des ASCT sur le retour à la direction des trains est en ce sens un signal très fort qu’il vous faut analyser).

 Ma conviction est que la vivacité de ce débat sur les métiers des cheminots est à restaurer très rapidement.

Les métiers du ferroviaire sont très particuliers et singulièrement uniques dans le secteur industriel. Certains sont en passe de disparaître, tandis que d’autres ont été profondément bouleversés par les changements technologiques et structurels de l’entreprise.

Hélas, petit à petit, la mémoire professionnelle de l'entreprise historique perd l'histoire de « ses » métiers qui l’ont intrinsèquement constituée.

Cette perte inclut des savoir-faire passés et des spécificités professionnelles propres au monde ferroviaire qui ont forgé l’identité de la SNCF et du monde cheminot en général.

Aujourd’hui le management ne parle que de “compétences”. Les métiers ont disparu du langage de l’entreprise.

Or une compétence ne traduit que la capacité à s'adapter en période de changements. C'est du "savoir être". C'est tout le contraire d'une qualification et d’un métier qui relève d’un savoir-faire.

Libérer la parole des cheminots sur leur savoir-faire offrirait un matériau essentiel pour saisir la complexité et la diversité des métiers à la SNCF, ainsi que l’évolution de leurs contraintes.

Celles-ci sont essentiellement liées à la dureté et à la pénibilité du travail dans un milieu ferroviaire qui est de plus en plus complexe, des organisations du travail qui accroissent la charge mentale des agents, et un management qui s’éloigne toujours plus de la maîtrise technique des opérations de production.

Cette dureté du métier est souvent traduite dans l’insatisfaction chronique des agents qui perdent de plus en plus d’autonomie et de marges de manœuvre dans leur travail quotidien.

Cette insatisfaction sera, soyez-en sûr, plus prononcée encore chez les nouvelles générations qui n’auront plus le statut comme compensation d’un contrat social clair et équitable et qui constituait jadis le ferment d’une cohésion sociale forte, mais surtout engagée pour le service public ferroviaire.

Mais plus positivement, ce constat devrait vous amener à la nécessité de comprendre pourquoi la conciliation entre travail et épanouissement n’est plus au rendez-vous dans le groupe public ferroviaire comme pour les classes d’âges précédentes.

J’aimerais vous faire remarquer que cette question du rapport au travail est vécue d’un côté particulièrement grincheux pour les agents statutaires et contractuels ayant une vingtaine d’années d’ancienneté dans leur entreprise et à qui il reste désormais plus de la moitié du chemin à faire.

En effet, prenons le seul exemple des gestions de carrières des cadres. Depuis les années 2000 que ne leur a-t-on vendu la mobilité professionnelle comme source d’opportunités, d’épanouissement personnel et d’accélérateur de carrières.

Or le constat aujourd’hui est tristement amer sur ce plan-là.

Des promesses non honorées, un accompagnement à la mobilité complètement découplé des réalités familiales d’aujourd’hui, des postes sans cesse requalifiés à la baisse compte tenu des réorganisations incessantes, et des arbitrages d'avancement non équitables puisque l’entreprise regarde toujours ce que vous devez faire pour elle dans le futur et jamais ce que vous avez fait pour elle dans le passé. L’expérience compte peu dans la promotion des cadres. Hélas l’expérience n’est pas transmissible.

Si bien que vous ne devez pas vous étonner aujourd’hui de leur appétence à se désengager, voire même désormais pour les meilleurs, à changer d’entreprise.

Le contrat avec la SNCF historique est rompu, comme un couple qui divorce faute d’avoir respecté les engagements du début.

Les attentes des jeunes cheminots, comme des plus âgés, portent d’abord et avant tout sur le sens, et la reconnaissance de leur travail ; mais aussi sur le respect et la dignité de leur personne en tant que travailleur, notamment sur leur capacité à s’exprimer librement sur leur travail.

J’attire votre attention sur le fait que la problématique du rapport au travail au sein de la SNCF n’est absolument pas une question spécifique posée par les jeunes générations, mais qu’au contraire, elle concerne l’ensemble des générations au travail, et pas seulement les plus diplômés.

Nous sommes passés de l’absolutisme du travail, un modèle dans lequel le travail occupe le centre et détermine la place des autres interactions sociales, à un modèle plus équilibré et plus sain, dans lequel chacun d’entre nous cherche sa place et exprime au mieux ses convictions et ses valeurs.

Il me semble que cette approche doit ouvrir des perspectives nouvelles pour une refondation du sens du travail dans notre groupe public.

Pour que le travail à SNCF redevienne une source de fierté, d’engagement au service du public, avec un fort sentiment d’appartenance à un métier, mais aussi à une communauté de métiers, et enfin à une grande communauté cheminote.

Pour cela nous avons désormais un allié législatif.

La loi PACTE a permis de réécrire la finalité d’une l’entreprise qui datait de 1804. L’entreprise qui se transformerait en “société à mission” deviendrait un projet collectif, associant les parties prenantes du travail.

En cohérence, le travail pourrait désormais être pensé comme le mode d’inscription dans ce projet de transformation.

À cet effet, je vous avais déjà écrit le 16 septembre 2020 en vous demandant d’engager le groupe vers la “société à mission” comme prévu par la loi PACTE.

Si le groupe a désormais changé sa “raison d’être”, adoptée par les CA, il faut passer maintenant à l’étape suivante, Monsieur le Président.

En effet, si le travail ne se déploie plus uniquement vers les intérêts de l’entreprise, alors quel est son sens ?

C’est toute la question que l’UNSA-Ferroviaire aurait voulu voir exposée d’une autre manière dans votre projet d’entreprise et qui n’est ainsi que très peu posée par “SNCF & moi” par exemple.

Pourquoi la nouvelle « raison d’être » du groupe n’y est par exemple jamais reprise comme support ?

Le terme d’articulation prendrait alors tout son sens : le travail n’est plus notre seule raison d'être ; il devient notre mode d’inscription dans la raison d’être de l’entreprise, en articulation avec nos autres relations – familiales, amicales, associatives, citoyennes.

Voilà pourquoi, Monsieur le Président, il faut se servir des réflexions que nous a offertes la pandémie dans notre rapport au travail pour accélérer la transformation du groupe public en société à mission. C’est le seul moyen de sortir d’une politique RSE purement formelle et peu engageante en modifiant la gouvernance du groupe tout entier.

Et c’est je le crois le vrai moyen d’engager une nouvelle attractivité vers le groupe public ferroviaire, fidéliser celles et ceux qui lui ont consacré beaucoup de leurs vies et sans doute aussi lui donner une nouvelle forme de compétitivité sur le marché de la concurrence ferroviaire.

Ajoutons au surplus que vous seriez le premier président d’une grande entreprise publique française à engager son groupe dans cette ambitieuse et profonde transformation et vous marquerez ainsi l’histoire de la SNCF, celle dont vous vous revendiquez comme cheminot “première langue”, notre SNCF à tous, celle qui mérite de redevenir l’entreprise ferroviaire de référence en Europe et dans le monde.

Recevez, Monsieur le Président, l’expression de mes cordiales salutations.

Lorem ipsum dolores

Didier MATHIS

Secrétaire Général