À LA RECHERCHE DU TEMPS RETROUVÉ
Le recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans est la solution retenue par le gouvernement pour assurer l’équilibre financier de la branche vieillesse de la Sécurité sociale. Quels sont les motifs et les réalités actuelles qui justifieraient une telle évolution ? Pourquoi une opposition très majoritaire des Français ?
Pour mieux appréhender le sujet, Le Mag est allé interviewer d’actuels et d’anciens représentants au conseil d’administration de la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel SNCF (CPRP SNCF) : Denis Dontenvill, Jean-Marc Maini et Rémi Aufrère-Privel. La conclusion de ce dossier spécial revient à Fabrice Charrière, secrétaire général adjoint de l’UNSA-Ferroviaire.
SOMMAIRE
D'autres solutions sont-elles possibles ?
HISTORIQUE (↑)
Quelles ont été les réformes successives du régime spécial de retraite SNCF ?
Denis Dontenvill - En 2007, lors de sa campagne électorale, le candidat Sarkozy assurait que le droit à la retraite à 60 ans devait demeurer. Pourtant, durant son quinquennat, deux réformes ont été menées, modifiant en profondeur le régime spécial historique de l’entreprise SNCF.
La première réforme des retraites menée en 2007 ciblait spécifiquement les régimes spéciaux (SNCF, EDF, RATP, Banque de France…) Malgré une forte mobilisation et de nombreux cortèges de manifestants, elle a été mise en œuvre le 1er juillet 2008. Elle a modifié la structure de la liquidation de la pension du régime spécial de la SNCF. Un élément important était la suppression de la clause couperet des bornes d’âges de mise à la retraite d’office par l’entreprise, à 50 ans pour les conducteurs de train et 55 ans pour les autres cheminots. De ce fait, la gestion prévisionnelle de l’emploi devenait plus compliquée pour la SNCF, puisque chaque cheminot pouvait poursuivre son activité professionnelle au-delà des bornes d’âges mentionnés ci-dessus. De fait, le régime de retraite changeait de paradigme : la fin de la clause couperet modifiait la dimension collective du passage de l’activité professionnelle à la retraite. La liquidation de la retraite devenait individuelle et chaque cheminot devenait responsable de sa future pension. En somme, la retraite à la carte devenait la nouvelle règle. L’incitation à la poursuite de l’activité professionnelle était sous-entendue, pour ne pas dire clairement affichée.
Avant cette réforme, la règle de calcul de la pension était basée sur le nombre d’années de travail effectué dans l'entreprise. Pour rappel, il fallait cotiser 37,5 années pour obtenir une pension à taux plein. À partir de 2008, la durée de cotisation évoluait progressivement vers 41 ans. De nouvelles notions étaient introduites dans le régime : la décote* et la surcote.
Le calcul de la pension reposait sur un critère générationnel et un passage progressif de 150 trimestres (37,5 années) à 164 trimestres au 1er juillet 2016 pour bénéficier du taux plein. La première décote concernait la génération 1955. Son taux était de 0,125% par trimestre manquant et augmentait au fil des années, pour accoster de nos jours à 1,25% pour chaque trimestre manquant.
La seconde réforme menée en 2010 concernait l’ensemble des régimes de retraite. Elle repoussait l’âge de départ à la retraite de 60 ans à 62 ans et de 65 à 67 ans pour obtenir une retraite sans décote, pour les salariés cotisants au régime général. La cotisation retraite salariale de 7,85% en 2010 augmente dès lors progressivement tous les ans, pour accoster à 10,95% en 2026. N’oublions pas que cette augmentation annuelle rogne le pouvoir d’achat des salariés au statut SNCF.
Puis, une nouvelle réforme en 2014, par le couvert de la Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant “déjà” l’avenir et la justice du système de retraites, a modifié la durée d’assurance nécessaire de 164 trimestres à 172 trimestres pour obtenir une retraite à taux plein, selon un calendrier de mise en œuvre propre au régime spécial. La génération 1978 devait cotiser 172 trimestres.
Avec la réforme annoncée en 2023, le critère d’âge de 64 ans modifierait une nouvelle fois la structure des paramètres pour l’ouverture des droits à la retraite.
Ces réformes successives ont été menées dans un temps très court et, à chaque fois, ont bousculé les paramètres de report d’âge, qui ont été revus plus rapidement à la hausse.
N’oublions pas qu’une retraite à taux plein est uniquement envisageable dès lors que vous avez cotisé le nombre de trimestres requis en termes de durée d’assurance (172 ou 176 trimestres) ou à l'âge de 67 ans. Il serait plus juste de dire qu’en France, tous les salariés peuvent obtenir une retraite à taux plein à 67 ans. La notion des 64 ans étant uniquement réservée aux salariés qui ont cotisé le nombre de trimestres requis (172, soit 43 années de cotisation).
Que reste-t-il de spécial au régime de retraite des salariés SNCF embauchés au statut ?
DD - Depuis 2008, de nombreuses règles du régime spécial de retraite ont été rognées, d’autres modifiées. La pension de retraite calculée sur la base des six derniers mois de rémunérations reste l’avantage principal du régime. Il n’est pas négligeable et il est identique aux règles de bien d’autres régimes spéciaux, dont celui de la fonction publique. À ce sujet, le raccourci utilisé par les médias pour comparer les montants des pensions versées, entre une pension du régime général et celle de notre régime spécial, est incomplet et, de fait, fausse les comparaisons. La pension du régime général est augmentée d’une pension complémentaire qui peut représenter pour un cadre la moitié de sa pension totale. La pension du régime spécial est unique et intègre, du fait de sa structure, l’équivalent de la pension complémentaire.
Enfin, la pension du régime spécial est versée en avance (terme à échoir, c’est-à-dire en début de mois), contrairement aux pensions du régime général, versées à terme échu (fin de mois).
Comment se situe la France par rapport à ses voisins européens ?
DD - Bien avant cette énième tentative de réformer l'âge de la retraite, la France comme bien d’autres pays, dont l’Allemagne, a intégré dans les critères retraite l’âge de référence de 67 ans. En Allemagne, 45 années de cotisations sont nécessaires pour liquider une pension. Ce qui veut dire que des salariés peuvent liquider à taux plein leur pension à 62, 63 ans en fonction de l’âge de début d’activité professionnelle. En Espagne, pour toucher une pension il faut avoir cotisé pendant 15 ans. Une pension sans décote s’obtient à l’âge de 65 ans (qui sera décalé à 67 ans) et une durée de cotisation de 35 années.
Le régime de retraite en Italie est d’une véritable complexité. Il a subi une réforme en 1995 qui produit des effets jusqu’en 2060. Une retraite à taux plein s’obtient à l’âge de 67 ans. Mais il est possible de partir en retraite à 62 ans à condition d’avoir cotisé pendant… 38 années. Pour conclure sur ce point, la France applique les critères les plus durs pour liquider une pension à taux plein.
LE FINANCEMENT DU SYSTÈME (↑)
Le ratio “actifs/retraités”, une donnée cruciale ?
Jean-Marc Maini - Pour justifier une énième réforme paramétrique* des retraites, le gouvernement met en avant aujourd’hui les problèmes de déséquilibre financier du système à horizon 2030. À juste titre, car dans un système par répartition tel que le nôtre, ce sont les actifs (et leurs employeurs) qui cotisent pour les retraités, la proportion des uns par rapport aux autres est donc déterminante.
Ainsi, nous sommes passés d’un retraité pour trois actifs dans les années 70 à un retraité pour 1,77 actif de nos jours (un retraité pour 0,6 actif pour notre régime spécial dit "en extinction"). Celui-ci sera de moins en moins élevé dans les années à venir, le taux de natalité baissant et l’espérance de vie étant en progression (sauf pour 2020 et 2021, années Covid).
Afin d’éviter un déficit quasi inévitable dans un système tel qu’il fonctionne actuellement, il existe donc différents leviers pouvant être activés, que sont l’augmentation de la durée de cotisation (42 ans actuellement, 43 ans à venir), l’augmentation de la cotisation ouvrière et/ou patronale ou, in fine, la baisse du niveau des pensions.
Afin, nous dit-on, d’équilibrer le système tout en garantissant à l’assuré un niveau constant de retraite, la vision comptable et technocratique des réformes imposées depuis les années 90 est la suivante : progression du nombre d’années de cotisation et recul de l’âge de départ, le tout avec application du principe d’égalité. Cependant, dans le cadre d’une vision élargie, plus « philosophique » et en changeant quelque peu de paradigme, on peut essayer de réfléchir autrement en se posant différentes questions susceptibles de remettre en cause le fonctionnement du système actuel et les solutions proposées aujourd’hui.
Face à l’augmentation supposée du déficit du système des retraites français d’ici à 2027-2030, il faudrait repousser l’âge légal à 64 ans et accélérer l’augmentation du nombre de trimestres travaillés. Quelle est la réalité des difficultés actuelles et à venir ?
Rémi Aufrère-Privel : Tout d’abord, il existe un vrai (et grave) défaut de crédibilité dans la parole actuelle du président de la République. Car en novembre 2019, celui-ci précisait qu’il ne servait à rien de repousser l’âge légal. Et il le proclamait avec la même détermination et la même assurance qu’en ce début d’année 2023. En à peine trois années - le timing est trop court pour être oublié si facilement - nous sommes passés du principe d’une réforme relativement systémique* (avec des atouts et risques importants par la retraite dite « à points* ») à une évolution paramétrique* qui s’est renouvelée à six reprises depuis plus de vingt ans. Le changement de paramètres paraît plus simple, mais il montre ses limites dans les traitements inégalitaires de plusieurs millions de salariés.
Cette absence de crédibilité est aussi le résultat d’une gestion des finances publiques nationales discutables et clientélistes. Celles et ceux qui ont profité le plus des réductions d’impôts directs en France sont parmi les plus riches, voire les ultra-riches. Et les volumes financiers de réserves et de dettes sont à rappeler : pour notre système actuel de retraite, ce sont près de 320 milliards servis chaque année pour 12 milliards de déficit annoncés en 2027, soit 3,7%. Bilan qui semble bien plus performant que celui de la gestion de l’État. Ajoutons les 127 milliards de réserves du régime des retraites et l’on découvre un État qui paraît bien plus « irresponsable » dans les volumes de dettes publiques actuelles et bien plus mauvais gestionnaire que notre régime de protection sociale. La réserve existante permet l’équilibre jusqu’en 2032. D’où la question de cette soi-disant urgence à travailler plus, voire beaucoup plus, à compter de cette année, qui manque de crédibilité.
Ensuite, la hausse prévue des dépenses des retraites n’est pas insurmontable et reste modérée. Il n’existe pas de dérive des dépenses dans la prochaine décennie. Le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) de septembre 2022 nous éclaire sur les prochaines années en précisant que « rien de permet d’anticiper que la conjoncture économique sera particulièrement déprimée sur la période 2028-2032 » et ose ajouter « qu’à plus long terme, de 2032 à 2070, la part des dépenses des retraites dans la richesse nationale serait stable ou en diminution ». L’une des raisons est la poursuite des effets des dernières réformes (dont la réforme dite Touraine) qui repousse l’âge de départ réel à la retraite de 62 à 64 ans. Quant au niveau de vie moyen des retraités, il commencera à décroître dès le début des années 2030.
Nous pouvons sérieusement envisager de payer un peu plus pour notre système de retraite. La durée d’activité est la première donnée à prendre en considération. Mais côté économie globale, que représente un demi-point, voire un point, de PIB pour nos retraites, alors que la financiarisation de l’économie nationale, européenne et mondiale atteint un niveau indécent et funeste ? Et que les superprofits sont une réalité. La justice fiscale doit participer largement au débat du financement de nos retraites et de notre protection sociale.
La question centrale serait donc celle des ressources du système ?
RA-P : Il faut corriger les propos politiques et patronaux qui ne recouvrent pas la réalité de toute la dimension du financement de nos retraites. Tout d’abord, et même si cela représente plus de 80% des ressources, les cotisations sociales (patronales et salariales) ne sont pas l’unique moyen d’assurer la solidité du système. La contribution sociale généralisée (CSG) permet d’assurer un financement complémentaire important, mais elle dépend des évolutions politiques gouvernementales et d’actions de lobbying du monde des affaires et du clientélisme qui les accompagne. Elle est fluctuante selon le locataire de l’Élysée et la majorité parlementaire. Pour l’illustrer, citons la part de la CSG applicable aux jeux, qui passe de 7,5% (1998), à 9,5% (2005), puis à 8,6% (2018) pour être réduite à 6,2% par la dernière loi dite « relative à la croissance et la transformation des entreprises ». Ceci alors que les revenus d’activité sont toujours soumis à un taux de 9,2% ! À noter que seul le contexte du mouvement des « gilets jaunes » provoquera la création d’un nouveau taux dérogatoire de 6,6% pour les retraités touchant moins de 2000 euros par mois, qui était le taux d’avant 2018 (avant l’élection d’E. Macron).
Ces deux ressources (jeux et activités) ne concernent que les budgets Allocations familiales et Assurance maladie, donc en dehors de la retraite. La CSG portant sur les revenus du patrimoine est au taux de 9,2% (avec 8,6% sur la vieillesse et 0,6% sur l’amortissement de la dette sociale).
Pour comprendre l’importance de la CSG, il faut indiquer qu’en 2018, sur des ressources totales de 498 milliards d’euros (régime général de sécurité sociale et fond solidarité vieillesse), celle-ci était de 116 milliards d’euros (soit plus de 20% du total).
On ne peut donc plus dire – et depuis longtemps – que le financement des retraites n’est assuré que par les contributions des cotisations sociales basées sur les seuls salaires. Le propos consistant à proclamer que les pensions sont payées par les actifs actuels et dépendent exclusivement de ceux-ci est une… affirmation fausse.
Bien entendu, nous avons l’obligation de développer un taux d’emploi le plus élevé possible pour assurer la fiabilité la plus durable du système des retraites. Mais la complémentarité par la fiscalité est devenue incontournable. Si l’on peut regretter cette forme « d’étatisation » du financement de notre régime général de retraites, il faut indiquer que les premières contributions publiques d’état datent des années 1950. De facto, elles créent des conflits dans la gestion du système entre les partenaires sociaux (organisations patronales et syndicats de salariés) et l’état, qui joue sans cesse sur le robinet des ressources selon les majorités politiques et les recommandations de l’Union européenne, qui fait de la baisse des dépenses publiques nationales un dogme indépassable.
Que sont les deux conventions chargées d’assurer l’équilibre du système ?
R-AP : L’équilibre des ressources passe aussi par les conventions comptables sur le régime de la fonction publique de l’État et certains régimes spéciaux (comme celui des cheminots, de la RATP, IEG, etc.). Il existe la convention EPR (Équilibre permanent des régimes) et la convention EEC (Effort de l’État constant). À noter que les régimes équilibrés par l’État représentent près d’un quart des dépenses des retraites. Si, en 2021, le régime général a été excédentaire de près de 900 millions d’euros et qu’il est prévu un excédent de 3,2 milliards d’euros en 2022, une dégradation est prévisible dès cette année, car l’économie engagée sur la masse salariale de la fonction publique va pénaliser considérablement les ressources.
Il est important de souligner que si le COR envisage un déficit sur les 25 prochaines années, il tient à préciser que le solde global des finances publiques n’est pas affecté par les conventions.
Sur le long terme (au-delà de 2030/2035), les hypothèses sont diverses selon les scénarios de progression de la productivité, la démographie et la situation nationale et internationale. A priori, il peut être envisagé de consacrer entre 0,5 et 1,2 point de PIB en plus pour assurer la couverture actuelle des dépenses des retraites (soit aux alentours de 15% du PIB), ce qui demeure plutôt raisonnable.
Ainsi, parler d’un « financement en très grande difficulté » comme le déclare le patron du MEDEF relève d’une posture démagogique pour faire accepter l’idée de sacrifice pour les salariés, voire les retraités.
Le gouvernement accorde de nombreuses exonérations de cotisations patronales à des entreprises, dans le but annoncé de préserver ou développer l’emploi. Il augmente donc la dégradation des recettes.
R-AP : Ces mesures sont en partie problématiques. Elles relèvent parfois du gaspillage par clientélisme. Les grandes entreprises perçoivent des exonérations alors qu’elles n’en ont pas besoin. Car ce sont les PME-PMI qui créent des emplois, or elles sont moins soutenues. Il est temps de faire le retour d’expérience sur les exonérations de cotisations sociales qui pénalisent durablement le financement de notre régime général de retraites, de supprimer certaines aides et sans doute de réorienter les soutiens financiers vers l’emploi durable et réel, ainsi que celui des seniors.
Plusieurs voix à droite s’élèvent contre cette volonté d’augmenter le nombre de trimestres travaillés et de repousser l’âge légal de départ à 64 ans.
R-AP - Cette proposition a été aussi comprise comme problématique par des élus de la droite républicaine. En témoignent les fortes interventions de Xavier Bertrand et Aurélien Pradié. Tout en défendant l’idée de travailler un peu plus longtemps – ce que je conteste pour ma part - les deux se rejoignent pour noter une réforme injuste sur plusieurs points. Par exemple, ils dénoncent que ceux qui ont commencé à travailler à 20 ans devront travailler une année de plus pour aller à 44 annuités. Quant aux femmes aux carrières professionnelles hachées, elles devront aller jusqu’à l’âge de 67 ans pour annuler la décote. Autant dire, comme le fait Xavier Bertrand, que « c’est une réforme de gens qui vont bien pour des gens qui vont bien ». Sont ainsi pénalisés de nombreux salariés et demandeurs d’emploi, et, parmi eux, celles et ceux « derniers de cordée » qui étaient les premiers à servir lors de la pandémie il y a moins d’un an. Nul doute que le président du parti des Républicains s’est exprimé favorablement un peu vite, sans mesurer l’iniquité de certaines dispositions dangereuses.
Le gouvernement et son groupe parlementaire prétendent qu’il s’agit d’une réforme de progrès assurant les besoins de financement futurs. Le minimum de pension à 1 200 euros apparaît comme sa proposition forte.
R-AP : Sur les 1 200 euros de pension, soit l’équivalent de 85% du SMIC, il faut préciser que ce montant serait applicable pour une activité salariée portant sur la durée de… 43 années. De plus et en réalité, il s’agit de 1 104 euros net. Autant dire que derrière l’effet d’annonce, beaucoup de salariés actuels et futurs retraités seront déçus d’avoir mal compris ce qui apparaît d’abord comme un slogan marketing !
Côté progrès, c’est discutable lorsque l’on constate une différence de 11 années d’espérance de vie à 60 ans entre l’ouvrier et le cadre. Cela signifie que celles et ceux qui auront le plus souffert du travail dans leur vie professionnelle réduiront leur temps de retraite. Ajoutons qu’un quart des ouvriers décèdent avant 65 ans !
LA QUESTION DE L’EMPLOI DES SENIORS (↑)
En 2018, le président Macron faisait le constat, partagé par tous, de la difficulté pour les salariés de plus de 55 ans à travailler jusqu’à 62 ans.
R-AP - Concernant le travail des seniors, nous sommes dans un océan d’hypocrisie. En 2018, sur ce sujet, le président de la République raisonnait dans le monde réel. C’était avant un lobbying très actif du monde de la finance et de certains industriels. Les dirigeants du Medef ont perdu leur crédibilité en proclamant leur ferme volonté de faire travailler les seniors plus longtemps et en soutenant le projet de repousser l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans. Car bon nombre de ses adhérents utilisent et ont longtemps usé et abusé des exonérations et aides publiques, ainsi que des fonds de l’assurance chômage, pour se débarrasser de leurs salariés les plus âgés. Il est stupéfiant de les voir déclarer leur admiration pour le taux élevé des seniors en emploi dans d’autres pays européens, alors qu’ils portent une large responsabilité dans le faible taux d’emplois des plus de 55 ans en France (33% des 60/64 ans en France travaillent contre 60% en Allemagne et 80% en Suède).
En France, la baisse du taux d’emploi des seniors a été financée par l’argent public, le réduisant presque de moitié entre 1998 et 2021. Un vrai désastre… Parce que derrière cette statistique, c’est la perte de compétences et de connaissances professionnelles pour de nombreuses entreprises, publiques comme privées, qui s’est accélérée. Sur ce point, défendre le projet d’allongement de l’activité professionnelle jusqu’à 64 ans, sans développer concrètement les opportunités pour les seniors, montre l’incohérence et le dogmatisme de cette proposition qui apparaît plus que jamais idéologique. Par ailleurs, l’économie des seniors n’est plus celle de la rente. Elle est devenue une ressource très dynamique pour la société française par la consommation, mais aussi par la participation active des retraités dans le soutien familial, la grande force du monde associatif, le renouvellement des élus locaux et la transmission des compétences qui est un atout trop peu mesuré.
Quant à la pénibilité, l’histoire très récente nous montre l’inconsistance et l’absence de détermination. En effet, une des premières mesures concernant le travail (et la retraite) fut la suppression par le président de la République de deux critères de pénibilité, à peine six mois après son élection en 2017. La raison invoquée fut la difficulté du patronat d’intégrer ces critères dans le dossier individuel de chaque salarié (C2P). Il est essentiel de renforcer la reconnaissance des critères de pénibilités, notamment travaux physiques, exposition aux matières dangereuses et aussi travail de nuit et horaires décalés. En travaillant dehors et en 3X8 durant cinq années, j’ai pu personnellement mesurer la grande pénibilité du travail de nuit et en extérieur. Non, le travail de nuit n’est assurément pas un modeste « désagrément », mais une vraie pénibilité qui réduit le temps de vie global.
Nous noterons que les critères encore valables aujourd’hui sont d’une exigence particulièrement élevée, ce qui les rend difficilement applicables. Une très petite lueur est apparue récemment sur le travail de nuit, par la réduction du nombre de nuits à prendre en compte (120). Mais il est indispensable d’augmenter le nombre de points permettant de gagner un ou plusieurs trimestres. Toutefois, je ne pense pas qu’une meilleure reconnaissance de la pénibilité soit suffisante pour atténuer les effets réels funestes d’un âge légal repoussé à 63 ou 64 ans.
Au-delà des questions de financement, notre rapport au travail et l’augmentation du « temps retrouvé » qu’est celui de la retraite professionnelle doit être questionné. Il n’est plus possible de faire reposer la charge des retraites sur les plus jeunes. Nous devons redoubler d’imagination pour améliorer la qualité de vie au travail et la fin de carrière. Et la productivité ne peut plus se mesurer en nombre d’heures travaillées. Le report de l’âge légal de départ à la retraite est une proposition socialement injuste, économiquement inefficace à long terme et profondément inégalitaire à l’égard de celles et ceux qui souffrent le plus du travail. Elle rompt l’idée du progrès humain obtenu par la réduction du temps de travail. Travailler mieux et travailler moins sont des défis communs qui embrassent l’utopie du progrès qui veut repousser plus loin la mort et profiter du « temps retrouvé ». Ce temps qui, pour chacune et chacun, profite à toutes et à tous.
D’AUTRES SOLUTIONS SONT-ELLES POSSIBLES ? (↑)
Faut-il appuyer le système sur le principe d’égalité ou celui d’équité ?
JMM - À la sortie de la guerre et dans le cadre du CNR, le nombre d’années à effectuer au régime général pour obtenir un taux plein est le même, quelle que soit la nature du travail réalisé, les sujétions imposées et les difficultés rencontrées. Ce qui n’est pas le cas des régimes spéciaux qui, bien avant, avaient intégré ces spécificités (la SNCF par exemple avec des conditions de départ différentes pour les sédentaires et les roulants, les militaires, les marins, les mineurs…).
La notion de pénibilité introduite avec la réforme de 2014 posait déjà cette question et écornait un peu ce principe d’égalité au profit de celui d’équité, mais de manière insuffisante. Pourquoi ne pas aller plus loin et vraiment individualiser les carrières en accordant de véritables bonus pour certaines professions et métiers difficiles et pénibles, comme ce fut le cas au début du 20e siècle pour les régimes spéciaux ?
Pourquoi, en plus du nombre d’années de cotisations, imposer un âge légal de départ en retraite ?
JMM - Avec ce projet de réforme en 2023, la double condition pour obtenir une retraite à taux plein (43 ans de cotisations et 64 ans) pénalise celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt, notamment lorsqu’ils ne peuvent bénéficier du dispositif « carrières longues » qui s’appuie sur des critères précis. On peut donc se demander si la notion d’âge légal ne serait pas à proscrire, ce qui permettrait d’éviter des injustices et ouvrirait de nouveaux champs pour une retraite plus à la carte.
Quelles seraient les solutions pour assurer un financement durable et la dignité des futurs retraités ? L’assiette de ressources de l’assurance vieillesse qui s’appuie de manière quasi exclusive sur les cotisations est-elle suffisante ?
JMM - Le ratio du nombre d'actifs sur le nombre de retraités étant voué à diminuer, ne faudrait-il pas trouver d’autres ressources, par exemple assises sur les gains de productivité fournis par le progrès technologique (automatisation, numérisation…) susceptibles de supprimer des emplois à forte main-d’œuvre, donc de potentielles cotisations ? Sans envisager une taxe sur les robots comme certains l’avaient évoqué, ne faudrait-il pas exiger une participation des grandes entreprises du numérique et autres big data ?
Dans le même état d'esprit pour les autres entreprises, pourquoi ne pas demander le reversement d'une partie de la productivité gagnée grâce à la digitalisation et autres techniques, à une caisse qui alimenterait l’assurance vieillesse et complèterait la partie cotisations ?
Voilà quelques pistes d’évolution du système que j’aurais souhaité voir évoquer dans le cadre d'un débat constructif en amont, plutôt que d’en venir tout de suite aux mesures qui depuis trente ans vont toujours dans le même sens. D'autant plus que dans son dernier rapport, le Conseil d’orientation des retraites n’évoque pas d’urgence à court terme. Las ! Pour des raisons politiques, on nous sort une réformette des retraites à appliquer au plus vite, afin d’asseoir une image réformiste, de rassurer les marchés et les institutions européennes, la dette de notre pays étant, comme pour de nombreux autres états, colossale.
C’est préjudiciable pour des millions de salariés qui devront travailler entre trois mois et deux ans de plus selon leur génération (là aussi, c’est injuste) et sans garantie de stabilisation du système (la prochaine réforme de ce type, c’est pour quand ?).
Pas la bonne réforme et pas le bon timing par ailleurs, car il y a d’autres problèmes actuellement bien plus prégnants, comme le maintien du pouvoir d’achat notamment des plus précaires et le redressement de notre système de santé qui comporte de nombreux trous dans la raquette !
Projet de réforme à suivre donc et, si possible, à rejeter.
ANALYSE DE L’UNSA-FERROVIAIRE (↑)
par Fabrice Charrière, secrétaire général adjoint
Merci au Mag d’avoir laissé la parole aux anciens et actuels représentants des salariés à la CPRP SNCF et merci à eux d’avoir ainsi apporté l’éclairage et leurs visions de la réforme à venir. Je voudrais pour ma part intervenir en deux points :
Tout d’abord, il me semble important de préciser que cette énième réforme des retraites, ou plutôt devrions nous parler de contre-réforme puisque ce projet n’améliore pas l’existant, mais le dégrade, va impacter l’ensemble des salariés. En effet, que l’on soit salarié d’une entreprise ferroviaire privée, contractuel ou sous statut SNCF, il va falloir travailler deux ans de plus et cotiser davantage de trimestres pour une retraite équivalente à celle d’aujourd’hui.
Je ne reviendrai pas sur le côté inéquitable de ce projet que les administrateurs d’hier et d’aujourd’hui ont tous relevé, mais je partage les tableaux de cet impact direct et visible pour quasiment toutes les générations, ainsi que les explications des modalités de calcul actuel.
Au régime général :
Le calcul de la pension se fait en prenant en compte la moyenne des rémunérations des 25 meilleures années (R). Ensuite, il faut proratiser en fonction du nombre de trimestres requis : 172 trimestres sont nécessaires pour obtenir le taux de pension maximum, soit 43 ans de cotisations. Pour une carrière comptabilisant 43 ans de cotisations, la pension de base est de 50% de R. L'âge d’ouverture des droits (AOD) était à terme à 62 ans. Au moment du départ en retraite possible à partir de 62 ans, on calcule le % de R au prorata des années cotisées versus années requises.
Exemple : si le salarié est embauché à 22 ans et a cotisé 40 ans, il aura (40/43) X 50% de R, soit 46,51% de R. De plus, s’il n’a pas le nombre d’années de cotisations requis, une décote est appliquée jusqu’à l'âge pivot de 67 ans, soit 5% par année manquante sans pouvoir excéder 25%.
Dans notre exemple, en partant à 62 ans, le salarié aura une décote de 15% (3 x 5% par année cotisée manquante 43-40). Il pourra partir à 65 ans avec le taux plein.
À cette pension, s'ajoute la retraite complémentaire AGIRC-ARRCO, retraite par répartition en points (gérée par CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC et MEDEF, U2P, CPME). L’AGIRC-ARRCO concerne 18,2 millions de salariés, dont 4,2 millions de cadres. La Cour des comptes reconnaît que les partenaires sociaux ont pris depuis 2015 des mesures "visant à unifier le régime et le doter de règles de pilotage pluriannuelles, de façon à restaurer sa soutenabilité". Le rapport salue le choix des partenaires sociaux qui agissent sur l’âge de la retraite en incitant à la poursuite de l’activité : "À partir de 2019 et de la génération 1957, la retraite complémentaire est minorée par l’application d’un coefficient de solidarité de 10 % pendant trois ans dans la limite de l’âge de 67 ans, si les assurés liquident leurs pensions à taux plein, sauf à retarder d’un an leur départ à la retraite”.
Au régime spécial :
Le calcul de la pension se fait en prenant en compte la rémunération des six derniers mois (R). Ensuite, il faut proratiser en fonction du nombre de trimestres requis : 172 trimestres sont nécessaires pour obtenir le taux de pension maximum, soit 43 ans de cotisations. Pour 43 ans de cotisations, la pension de base est de 75% de R. L’AOD est à terme à 57 ans pour les sédentaires (52 ans pour les conducteurs).
Au moment du départ en retraite possible à partir de 57 ans, on calcule le % de R au prorata des années cotisées versus années requises : si le salarié est embauché à 22 ans et a cotisé 35 ans, il aura (35/43) X 75% de R, soit 61,05% de R.
De plus, s’il n’a pas les 43 années de cotisations requises, une décote est appliquée jusqu’à l'âge pivot de 62 ans (57 ans pour les conducteurs), soit de 5% par année manquante sans pouvoir excéder 25%.
Dans notre exemple, en partant à 57 ans, le salarié aurait une décote de 25% (8 années manquantes 43-35, mais décote plafonnée à 25%). Pour annuler la décote, il devra partir à 62 ans, sans toutefois bénéficier du taux plein. Pour bénéficier de ce taux plein (75%) il devra avoir cotisé 43 ans, donc partir à 65 ans.
Rappelons qu’il n’y a pas de retraite complémentaire pour les salariés statutaires.
Comme toujours, lorsque l’on touche un élément essentiel du contrat social des cheminotes et des cheminots, des éléments imbriqués sont fragilisés. Ainsi, si le projet de loi était adopté, d’autres impacts indirects sont à prévoir : lors de la mise en place des précédentes réformes, il avait été négocié la création de compensation, notamment financière. Il existe par exemple des majorations salariales de traitement (MST2 pour les conducteurs et MST1 pour les autres salariés statutaires des classes 1 à 8, MST3 et MST4 qui concernent les anciens apprentis ou élèves) qui sont déclenchés à partir de l’AOD.
Les éléments de langage sont connus : « le système est déséquilibré... l’enjeu de cette réforme, c’est de sauver notre système par répartition... un trou (immense) de 12 milliards d’euros… ». Le Conseil d’orientation des retraites a effectivement évoqué, dans un des scénarios envisagés, un possible déficit de 12 milliards d’euros en 2027. Pour rappel, le budget des retraites s’élève à 320 milliards d’euros, ces hypothétiques 12 milliards d’euros manquants à l’horizon 2027 ne représentent qu’un déficit de 3,7%. Par ailleurs, le COR indique aussi qu’ils pourraient finir par se résorber. On peut parier que le ministre de l’Économie et des Finances serait heureux d’annoncer un déficit budgétaire de la France à cette hauteur. Il est en 2022 de 5 %, on ne l’a pas entendu appeler au feu et pronostiquer la ruine de la France. Deux poids, deux mesures ?
Cette réforme est dogmatique alors que d’autres solutions sont possibles. Je reprendrai celles qui sont développées par l’UNSA au niveau interprofessionnel et que la fédération UNSA-Ferroviaire partage. Le taux d’emploi des seniors est un des axes sur lequel on devrait être plus incitatif. En effet, une augmentation de 10 % du taux d’emploi des seniors (53,8 % en 2020 contre 60,2 % dans la zone euro) résoudrait les problèmes de financement. La définition d’un index et la création d’un fonds spécifique financé par les entreprises restent insuffisantes. Mais aucune mesure contraignante ne s’impose aux entreprises.
Il faudrait aussi faire le tri dans les allégements ou suppressions de cotisations qui existent actuellement pour les entreprises. Il y a de bons et de mauvais allégements (ceux qui ne créent ni investissement ni emplois). On ne peut pas continuer à faire les poches de la protection sociale des salariés, puis leur demander de travailler plus longtemps pour compenser ! Par exemple, exonération de charges sociales sur les heures supplémentaires, c’est deux milliards en moins pour la sécurité sociale.
Enfin, si cela s’avérait nécessaire pour finir d’équilibrer le système durant quelques années, l’UNSA est ouverte à une hausse modérée des cotisations patronales et salariales. Compte tenu des faibles sommes en jeu, cela ne représenterait que quelques euros par mois pour chaque salarié, on peut parier que les salariés préfèreront payer un peu plus plutôt que travailler deux ans de plus.
L’espérance de vie a effectivement progressé ces dernières décennies, néanmoins, si on prend en compte l’espérance de vie en bonne santé, les résultats sont beaucoup plus contrastés. À la naissance, les femmes peuvent espérer vivre 65,9 ans sans incapacité et 77,9 ans sans incapacité sévère ; les hommes, 64,4 ans sans incapacité et 73,8 ans sans incapacité sévère (DREES, 2021).
Par ailleurs, ces chiffres ne montrent pas les inégalités sociales importantes en matière d’espérance de vie. Les ouvriers ont une espérance de vie plus courte et, au sein de cette espérance de vie plus courte, ils ont également plus d’années à vivre avec des incapacités. De plus, les 5 % les plus pauvres meurent en moyenne treize ans plus tôt que les 5 % les plus aisés (Ined, 2018).
De plus, en 2019, 104 300 personnes sont parties en retraite pour inaptitude, soit 17% des départs (IGAS 2022).
Les efforts des assurés sociaux pour maintenir notre système de retraite ont déjà été faits. L’âge moyen de départ en retraite est passé de 60,5 ans à plus de 63 ans en 2021, du fait des nombreuses réformes précédentes. Il est aussi faux de dire que les Français passent plus de temps à la retraite qu’auparavant. Si la génération 1950 pouvait s’attendre à près de 26 années de retraite, celle de 1955 est moins chanceuse, avec une espérance de retraite de 24 années.
Les enjeux prioritaires d’une réforme des retraites juste et efficace devraient être d’augmenter les minimas de pensions, d’agir pour l’égalité hommes/femmes, de rendre systématique un rendez-vous « retraites » pour tous les salariés employés à temps partiel dès 40 ans, d’améliorer l’emploi des seniors, de mieux prévenir l’usure professionnelle et tenir compte de la pénibilité afin d’avoir une retraite en bonne santé.
En ce qui concerne le financement du système, l’UNSA considère qu’une mesure d’âge entraînerait des économies sur les retraites, mais induirait des dépenses supplémentaires de chômage et d’invalidité. Selon une étude de la DREES en 2022, un décalage de deux ans de l'âge légal induirait, en année pleine, 3,6 milliards de dépenses supplémentaires de prestations sociales hors retraites et assurance chômage. La priorité doit donc aller vers le maintien en emploi des seniors avant 62 ans et, si nécessaire, une hausse des cotisations patronales et salariales. Quelques euros par mois suffiraient…
Il est également important, dans ce contexte de nouvelle réforme injuste des retraites, de rappeler que l’UNSA-Ferroviaire a obtenu que la CPRP SNCF devienne la caisse de branche de tous les salariés du ferroviaire pour la partie maladie. Ainsi, cette caisse sera l’interlocuteur unique de tous les salariés du ferroviaire sur le champ de la prévoyance (maladie, maternité, invalidité, décès, accidents du travail, maladies professionnelles). L’UNSA-Ferroviaire rappelle que cet engagement pris par le précédent gouvernement a été confirmé par un courrier du ministre de l’époque le 22 mai 2021. Il s’agit d’une réponse au courrier de l’UNSA-Ferroviaire du 10 mars 2021 auquel la CFDT-Cheminots s’était associée. Aujourd’hui, l’UNSA-Ferroviaire regrette les atermoiements sur la mise en place de cette caisse de branche et restera ferme sur son application pleine et entière. Au-delà de l’aspect prévoyance, l’UNSA-Ferroviaire continue de revendiquer que cette caisse de branche soit également le guichet unique retraite pour l’ensemble des salariés de la branche.
Ainsi, loin de se satisfaire des reculs que certains voudraient imposer, l’UNSA-Ferroviaire reste à l’offensive, y compris pour aller chercher des droits nouveaux pour les salariés.
Je ne prétendrai pas ici apporter une conclusion définitive, car c’est bien par la mobilisation et sous les bannières de toute l’UNSA que la partie se joue désormais. Alors, toutes et tous, ensemble, exprimons fièrement avec l’UNSA que ce ne sera pas un jour, pas un mois, pas un an de plus !
QUELQUES CHIFFRES (↑)
En 2022, selon Oxfam, la fortune des milliardaires a plus augmenté pendant la crise Covid qu’au cours de la dernière décennie, passant de 5 000 milliards de dollars à 13 800 milliards, son niveau le plus élevé à ce jour. Sur 100$ de richesse créée, 54$ sont allés dans les poches des 1% les plus aisés, tandis que 70 centimes ont profité aux 50% les moins fortunés.
La question du financement des services publics et des prestations sociales n’est donc toujours pas leurs ressources mais, plus que jamais, l’inégalité dans la répartition des richesses créées.
LES INÉGALITÉS HOMMES/FEMMES FACE À LA RETRAITE (↑)
Non contentes d’avoir des salaires plus faibles que ceux des hommes, de devoir faire face au plafond de verre qui fait que plus on s’élève dans les hiérarchies, moins il y a de femmes, de devoir cumuler plus souvent que les hommes les contraintes d’une vie professionnelle avec celles d’une vie familiale, les femmes ne sont pas non plus à égalité avec les hommes devant la retraite. Des écarts de pension qui s'expliquent par de nombreux facteurs.Les inégalités professionnelles...
La principale raison tient aux salaires plus faibles et aux carrières hachées (principalement pour s’occuper des enfants) qui génèrent des écarts importants tout au long de leur carrière professionnelle :
- elles sont plus touchées par les emplois précaires : en 2020, les femmes en emploi étaient trois fois plus nombreuses que les hommes à occuper un temps partiel (27% contre 8%)
- elles sont moins bien payées : selon les derniers chiffres Insee, le revenu salarial des femmes était en moyenne inférieur de 22,3% à celui des hommes en 2019. Une différence tombant à 16,1% en équivalent temps plein, sauf pour les plus bas revenus où l’écart reste de 25%
- elles ont des carrières plus souvent hachées : entre périodes de chômage et obligations familiales (grossesses, congés maternité, arrêts de travail pour élever leurs enfants...), elles connaissent plus de périodes d'inactivité que les hommes
... conduisent à des pensions plus faibles
Tous régimes confondus, pour compléter leur durée d'assurance, les femmes partent en moyenne à la retraite 7 mois après les hommes et perçoivent en moyenne en 2018 une pension inférieure de 28% à celle des hommes. Cet écart augmente jusqu'à 41% dès lors que l'on ne prend en compte que les pensions de droits directs*. Certains dispositifs comme la réversion* permettent de réduire cet écart, les femmes en étant les principales bénéficiaires.
Un écart qui se réduit très lentement
Les femmes sont 60% à partir au taux plein, contre 68% en moyenne (hommes et femmes confondus). L'écart entre les niveaux de pensions de retraite des hommes et des femmes était de 50% en 2004, il est aujourd'hui de 41%, il devrait être de 30% pour les générations 1965-1969. Il est probable que cet écart ne soit toujours pas comblé en 2065.
L’écart des pensions n’est qu’un des effets d’inégalités plus profondes
Les inégalités de retraite ne résultent pas seulement de la vie professionnelle, mais aussi d’un ensemble de facteurs culturels, personnels, patrimoniaux bien plus larges, de l’orientation des étudiantes vers des métiers moins bien payés aux représentations du rapport à l’argent et des responsabilités au sein de la famille qui se construisent dès l’enfance.
Les études : les filles se dirigent massivement vers les filières sociales et littéraires, qui conduisent à des professions moins bien rémunérées – en 2020-2021, elles représentaient 86% des effectifs en formations paramédicales et sociales, contre 28,9% seulement des inscrits en écoles d’ingénieurs, selon l’Insee. Elles sont pourtant plus diplômées, selon Eurostat : 54% des 25-34 ans ont réussi des études supérieures, contre 46% des hommes. Malgré cela, leur proportion diminue à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie : elles sont 55% des diplômés de l’enseignement supérieur en 2010, mais seulement 40% des managers en 2017 (Cereq, 2020).
Le début de la vie active : après leurs études, elles prennent leur indépendance plus tôt. Selon l’Insee, entre 18 et 24 ans, 48% des femmes vivent encore chez leurs parents, contre 58% des hommes, ce qui les expose plus tôt à la précarité, tandis que les garçons, logés et nourris plus longtemps chez leurs parents, commencent à économiser plus tôt quand ils ont un travail à côté.
La vie adulte : vient enfin tout ce qui contribue à creuser les différences de revenus et de patrimoine et donc, au final, de niveau de vie et de pension de retraite. En cas d’héritage, les parents transmettent plus souvent aux garçons les biens structurants (l’entreprise familiale notamment). Dans le couple, les femmes gèrent moins souvent que les hommes le patrimoine familial. En cas de séparation, enfin, le niveau de vie des femmes baisse davantage que celui des hommes. Or l’essentiel des parents solos sont des mères (80% selon l’Insee), dont 36% vivent sous le seuil de pauvreté, contre 22% des pères seuls.
En 1804, le statut juridique des femmes mariées est régi par le Code civil napoléonien : elles n'ont pas le droit d'avoir un compte en banque, de travailler sans l'autorisation de leur mari et restent sous la tutelle de celui-ci, qui perçoit leur salaire à leur place.
Il faut attendre juillet 1965 pour qu’une loi donne aux femmes le droit d'ouvrir un compte en banque et de travailler sans l'autorisation de leur mari.
En janvier 2023, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) constate dans son rapport que le sexisme perdure en France et que ses manifestations les plus violentes s’aggravent.
GLOSSAIRE (↑)
Âge pivot : âge d’annulation de la décote.
AOD : âge d’ouverture des droits, à partir duquel vous pouvez prendre votre retraite. Si vous n’avez pas validé le nombre de trimestres nécessaires, votre pension est minorée d’une décote.
Clause du grand-père : disposition qui ne s’applique qu’aux nouveaux entrants sur le périmètre concerné par une réforme. Ce fut le cas lors de la réforme du statut de la SNCF à compter du 1er janvier 2020 : les nouveaux embauchés depuis cette date ne sont plus recrutés “au statut”.
Décote : coefficient de minoration qui s’applique au montant de la retraite si le salarié n’a pas cotisé le nombre d’années requis (43).
MST 1 : Majoration salariale spécifique de traitement versée dans le cadre de la prolongation d’activité au-delà de l’AOD pour les statutaires hors conducteurs.
MST 2 : Majoration salariale complémentaire de traitement versée dans le cadre de la prolongation d’activité au-delà de l’AOD pour les statutaires conducteurs.
MST 3 : Majoration salariale exceptionnelle de traitement est due dès l’atteinte de l’âge d’ouverture du droit à pension aux anciens apprentis ou élèves de l’exploitation de SNCF, égale à une majoration de 0,25% du traitement par trimestre d’apprentissage accompli à la SNCF validé au régime général et dans la limite maximum de huit trimestres cotisés.
MST 4 : Complément fixe à la majoration salariale exceptionnelle de traitement qui complète la majoration salariale exceptionnelle de traitement (MST3).
Pension de droits directs : acquise en contrepartie cotisations versées et des validations de trimestres acquis au cours de l'activité professionnelle. Elle peut être transférée au conjoint survivant lors du décès du bénéficiaire.
Pension de réversion : correspond à une partie de la retraite dont bénéficiait ou aurait pu bénéficier le salarié décédé. Sous certaines conditions, elle peut être versée au conjoint (et/ou ex-conjoint) survivant, voire aux orphelins.
Retraite par répartition : les cotisations des actifs prélevées sur les salaires financent immédiatement les pensions des retraités.
Retraite par capitalisation : chacun cotise pour sa propre retraite de demain. Le niveau des pensions futures dépend des performances du marché financier sur le long terme.
Retraite par points : système de retraite individualisée, où le montant de la pension est calculé en fonction d’un nombre de points accumulés au cours de sa carrière, comme c’est le cas actuellement des régimes complémentaires (Agirc et Arrco). La valeur du point est réévaluée chaque année.
Réforme paramétrique : se dit d’une réforme qui concerne uniquement les paramètres de calcul de la pension, comme la durée de cotisation, l’âge légal de départ ou les taux de cotisation.
Réforme systémique : se dit d’une réforme qui change en profondeur les modalités du système en cours, comme la mise en œuvre d’un système universel par points.